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Maha EL BCHIRI

Directrice Communication et Développement

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Bonjour, avant tout, pouvez-vous vous présenter SVP ?

Je m’appelle Maha EL BCHIRI et je suis Directrice Communication et Développement à l’APEFE Wallonie-Bruxelles « Agence pour la Promotion de l’Éducation et de la Formation à l’Étranger », qui est un centre d’expertise belge de coopération internationale pour le développement. Je suis titulaire d’un Master en Marketing Stratégique et Opérationnel de l’Université de Rennes I et un MBA de l’ISCAE Casablanca. Ma récente thèse de recherche a porté sur l’agilité des programmes de coopération internationale pour le développement et les améliorations possibles sur les modèles actuels.

Je suis mariée, j’adore les animaux et fais autant de sauvetages que je peux à titre personnel. J’adore voyager et découvrir d’autres cultures, je suis curieuse de nature pour des thématiques très variées : les sciences, l’espace et la philosophie par exemple sont mes lectures actuelles.

Racontez-nous un peu votre parcours

J’ai obtenu mon master en 2006, j’ai direct intégré une institution de microfinance en tant que chargée d’études de marché. Ma première étude de marché a porté sur l’évaluation de la notoriété de l’institution, ce qui a abouti à une refonte de l’identité visuelle de l’organisation pour être et rester proche de sa population cible. Mon employeur a donc pu apprécier les résultats de mes travaux, et la mise en place d’un département marketing au sein de l’institution, qui n’existait pas avant mon arrivée, m’a été confiée. Durant ces six années, mon département a pu contribuer à mettre en place de nouveaux services financiers et non financiers au profit de populations cibles, généralement défavorisées, pour améliorer leur autonomisation économique.

Après 6 ans en microfinance, j’ai rejoint une entreprise opérant dans l’immobilier, où j’ai pu participer au lancement d’un grand projet immobilier haut standing. J’ai quand même quitté au bout d’une année, pour revenir à ce qui m’anime le plus, qui est de pouvoir participer et contribuer – modestement- à trouver des solutions de développement au profit de populations cibles, principalement marginalisées et aider mon pays. Et c’est en 2013 que j’ai donc intégré le secteur de la Coopération Internationale pour le Développement, pour participer à la formulation et la gestion de divers programmes qui touchent plusieurs volets comme l’entrepreneuriat féminin, l’autonomisation des femmes, la promotion de l’emploi des jeunes et l’amélioration de leur employabilité, etc. Et tout cela en agissant auprès de et avec des acteurs locaux publics, privés et associatifs engagés, en renforçant les capacités des partenaires institutionnels au niveau national, régional et territorial, pour in fine avoir une intervention collective, innovante, durable et adaptée au profit des différentes populations cibles.

Parlez nous de votre vie professionnelle et vos actions

Ma vie professionnelle est très animée et pleine de challenges. Les programmes que nous avons mis en place au Maroc et que nous gérons avec nos partenaires sont axés principalement autour de problématiques liées à l’émancipation de la femme et à l’employabilité des jeunes. Ce qui revient à chercher des solutions à des problèmes divers en relation avec la gouvernance, le management, ou encore les systèmes d’informations. Nous mettons en place des solutions innovantes et multi-acteurs pour une réponse globale basée sur la synergie et la complémentarité entre les acteurs d’un écosystème.

Notre programme de soutien à l’entrepreneuriat féminin, baptisé Min Ajliki est en phase de clôture de sa deuxième version. Min Ajliki a vu le jour en 2013 suite à un financement de l’État fédéral belge (la coopération belge au développement) et compte actuellement 8 partenaires directs à savoir le Ministère du Travail et de l’Insertion Professionnelle, l’ANAPEC, Maroc PME, L’Association des Femmes Chefs d’Entreprises du Maroc AFEM, L’association Entrelles, Le Centre Mohamed 6 de soutien à la microfinance solidaire, Al Amana microfinance et Attawfiq Microfinance. Mais le programme a également plus d’une centaine de partenaires indirects puisque nous menons une intervention nationale auprès de cibles très larges, à savoir les femmes porteuses d’idées de projets, les femmes entrepreneures actives ou encore les micro entrepreneures dans l’informel qui souhaitent formaliser leurs activités.

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A travers Min Ajliki, nous avons pu contribuer à sensibiliser plus de 50 000 femmes sur l’entrepreneuriat, former plus de 30 000 femmes, nous avons aussi pu accompagner plus de 4000 structures féminines pour leur passage de l’informel au formel, et plus de 5000 emplois féminins ont été générés à travers les activités féminines créées.

Le programme Min Ajliki a également contribué à créer et/ou soutenir plus de 15 incubateurs d’entreprises, des espaces de coworking ou encore des espaces universitaires de promotion de l’emploi estudiantin et l’entrepreneuriat féminin.

Mais l’impact qui nous interpelle le plus est celui sur les attitudes et les mentalités. Quand par exemple nous faisons face à des hommes qui viennent vers le programme pour encourager leurs femmes, filles ou sœurs à entreprendre, quand une bénéficiaire passe de l’état de « je ne peux pas » à « je veux et je peux », quand nos bénéficiaires reprennent leur scolarité même à un âge avancé…tous ces exemples de changements ne sont pas des indicateurs quantitatifs, et généralement ne figurent pas sur les reportings et chiffres du programme mais c’est ce qui me rend fière le plus. Nous considérons que l’impact qualitatif est plus difficile à atteindre, mais beaucoup plus important et plus durable.

Le deuxième programme sur lequel nous travaillons s’appelle AJI – Appui aux Jeunes Initiatives et c’est un programme mis en place par l’APEFE en partenariat avec le Ministère du Travail et de l’Insertion Professionnelle et l’ANAPEC, avec un financement de l’État fédéral belge via Enabel.

AJI est un programme de promotion de l’emploi des jeunes (hommes et femmes) âgés de 18 à 35 ans et résidant dans 4 régions cibles : Fès-Meknes, Beni Mellal-KHenifra, Oriental et Draa-Tafilalte. AJI a vu le jour en plein crise sanitaire et confinement. La situation ne nous a malheureusement pas permis de mener nos activités et interventions comme nous l’aurions prévu, mais grâce au digital et l’agilité des équipes, nous avons pu lancer l’essentiel des activités en ligne, qu’il s’agisse d’activités de sensibilisation, de formation ou encore de l’accompagnement, etc.

Cette crise sanitaire a également challengé nos manières de faire. Cependant, grâce à un processus de retour d’expérience continu, et à une démarche de design thinking ancrée dans nos habitudes de travail, nous avons vite pu reconvertir la majorité de nos interventions et nous adapter au nouveau contexte. Nous avons, pour Min Ajliki par exemple, lancé en septembre 2020, un accompagnement spécial post covid pour nos bénéficiaires qui ont été impactées par la crise, et nous avons été agréablement surpris par la persévérance et la capacité d’adaptation de nos bénéficiaires, même celles qui ne sont pas du tout habituées à l’usage du digital. Nos jeunes en général et la femme marocaine en particulier disposent d’un énorme potentiel, il suffit généralement de croire en eux et surtout de les accompagner pour mieux prendre conscience de leur vrai potentiel.

Quels sont vos projets à venir ?

Sur le plan professionnel, nos programmes actuels ont encore de belles années d’activités à venir durant lesquelles nous espérons continuer à accompagner nos partenaires dans les thématiques de l’entrepreneuriat féminin, l’autonomisation des femmes, la condition féminine et son amélioration ou encore l’emploi des jeunes.

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Pour l’ensemble de nos programmes, le focus restera le renforcement des capacités des acteurs et des populations cibles à travers des concepts et approches innovants, faisant appel à l’intelligence collective, la synergie et le digital. Mais notre principal objectif reste l’appropriation et la durabilité de ce que nous mettons en place et développons avec nos partenaires. La finalité est que les acteurs locaux puissent devenir acteur de leur propre développement et continuer à accompagner les populations cibles avec des offres de services adaptées, évolutives et agiles.

Sur le plan personnel, je suis sollicitée à travailler sur quelques articles et publications relatifs à ma dernière thèse de recherche. L’objectif est de partager avec une audience plus large mes propositions et suggestions de formulation et développement des programmes de coopération. Comment revoir la configuration de partenariats autour des programmes de coopération pour une intervention plus durable, comment formuler et réussir un lancement agile à travers un Minimum Viable Program, comment décortiquer les différentes phases du cycle de vie d’un programme de coopération…Tous ces concepts, j’espère pouvoir les partager prochainement en articles pour initier une réflexion autour des modes actuels de formulation afin de ne pas perdre de vue l’objectif principal de la coopération pour le développement qui est justement le développement durable, quel que soit le volet d’intervention.

Quel est votre conseil pour les femmes qui veulent réussir ?

Il faut oser être soi-même ! Tu peux être ce que tu veux et qui tu veux, personne ne doit te dicter tes choix !

Fuir les personnes négatives, s’entourer des personnes bienveillantes qui peuvent challenger tes idées sans remettre en question ta confiance en toi-même.

Accepter d’échouer, mais ne jamais baisser les bras. L’échec ne serait qu’une étape vers la réussite. Il faut savoir prendre du recul, examiner ses pas, capitaliser sur les leçons apprises et repartir de nouveau.

Chacune de nous doit encourager, soutenir et uplift les autres femmes dans son entourage. Parler des autres expertises féminines autour de soi, les valoriser, les mettre sous le projecteur ne peut que contribuer à valoriser l’expertise féminine au Maroc dans l’absolu. Bien sûr une compétition saine entre expertises féminines est toujours bénéfique, mais les maîtres mots doivent être : mentoring au féminin, solidarité et valorisation.

Que pensez-vous de la situation de la femme au Maroc ?

Plusieurs avancées ont vu le jour depuis les années 2000, notamment la réforme du code de la famille, la nouvelle constitution, etc. Cependant, le chemin qui mène vers l’égalité des sexes est encore long. A titre d’exemple, nous disposons aujourd’hui d’un code de la famille qui fixe formellement l’âge du mariage à 18 ans et pourtant en 2020, 6,48% du nombre total des actes de mariage conclus au Maroc concernaient des mineurs. Donc oui nous avons des avancées, mais il y a encore du travail à faire.

Selon le Haut-Commissariat au Plan, en 2020 52,9% des femmes âgées de 25 ans et plus sont sans niveau d’instruction. En 2019, uniquement 12,9% des entreprises formelles sont dirigées par des femmes. Uniquement 23,5% des femmes occupent un poste de responsabilité dans la fonction publique. 20,5% des sièges au niveau de la chambre des représentants et seulement 20,9% des sièges dans les conseils territoriaux sont occupés par des femmes. En 2020, le taux d’activités féminine était de 19,9% contre 70,4% pour les hommes. Vous pensez réellement que nous n’avons pas d’expertises féminines qui peuvent contribuer à différents niveaux de création de valeur ? Ou sont-elles tellement à l’ombre ou noyées dans d’autres problèmes ? ou manquent-elles d’accompagnement adapté, qu’on n’arrive pas à les identifier ?

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Et le drame ne s’arrête pas là, les femmes sont exploitées aussi par l’emploi informel non déclaré, où la part des femmes salariées ne disposant d’aucun contrat s’élève à 43,2% … Elles sont également victimes de violence, sous toutes ses formes. En 2019, plus de 7,6 millions de femmes, soit 57,1%, ont subi au moins un acte de violence. Et ces violences se sont aggravées de 31,6% durant la période de confinement, par rapport à la même période de l’année 2019.

Donc, oui nous avons enregistré plusieurs avancées, oui il existe une réelle volonté de donner à la femme marocaine le statut qu’elle mérite et les conditions nécessaires et adéquates pour faire rayonner ses talents et ses compétences, oui plusieurs initiatives sont en cours pour aboutir à une seule finalité qui est l’amélioration de la condition féminine au Maroc. Mais on sait tous que ce qui prend le plus de temps à changer sont les mentalités. Il faut investir dans l’éducation citoyenne et la sensibilisation des plus jeunes au respect de l’autre, il faut créer plus de synergies autour de ces problématiques, stimuler plus d’intelligence collective à tous les niveaux pour faire émerger plus d’idées et de solutions. Nous sommes sur la bonne voie, il faut appliquer les lois qui sont là pour protéger la femme et accélérer les réformes et leur application.

Votre avis sur le site ?

Excellente initiative !

Notre pays regorge de compétences féminines dans tous les secteurs. Cependant, des fois on peine à trouver des expertes pour une telle ou telle prestation, et je sais qu’elles sont là, mais difficilement repérables pour une raison ou une autre et ces raisons doivent soulever le débat en soi…

Si votre plateforme peut sortir de l’ombre justement ces compétences féminines et les valoriser pour mieux les repérer et faire appel à leurs compétences et expertises, notamment pour des problématiques liées au développement social et économique de notre pays, ça sera excellent.

Il faut aussi penser à regrouper, en annuaire par domaine d’expertise, des expertes au Maroc pour les repérer facilement.

Pensez également à stimuler, à travers le bénévolat évidemment, des pistes de mentoring entre les femmes. « Lamarocaine.com » pourrait aussi créer des opportunités d’échanges entre les femmes représentées dans votre plateforme dans un premier temps, et avec une audience plus large dans un second temps pour une intelligence collective qui servira certainement à trouver des solutions pour améliorer la condition et le statut des femmes au Maroc. Je suis consciente que le débat est déjà soulevé mais je pense qu’il y a tellement beaucoup de choses à faire, que toute nouvelle initiative ne peut que contribuer à faire accélérer le processus.

Dernier mot ?

« C’est par le travail que la femme a en grande partie franchi la distance qui la séparait du mâle ; c’est le travail qui peut seul lui garantir une liberté concrète » – Simone de Beauvoir

 

Entretien réalisé par Aziz HARCHA
Juillet 2021

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