Ihsane Haouach

1- Bonjour, avant tout, pouvez-vous vous présenter, nous raconter votre parcours et vos activités

Ihsane Haouach, je suis une entrepreneuse sociétale, travaillant pour des transformations durables et éthiques. J’ai de l’expérience à la fois dans le secteur privé et dans le secteur non lucratif. Diplômée en ingénieur de gestion à la Solvay Business School, j’ai occupé diverses fonctions managériales et commerciales dans le secteur de l’énergie, en passant par l’innovation et la gestion de projets à l’international. Mes sensibilités m’ont poussé à m’impliquer dans l’éducation, le féminisme et la culture. J’ai co-fondé et géré diverses organisations dont TYN-Talented Youth Network, formant et inspirant plus de 2200 jeunes dans leur diversité en quelques années, ainsi qu’un centre civique, éducatif et culturel de 1000m2 à Molenbeek, appelé « L’Epicerie ». L’Épicerie, comme un mélange d’épices de toutes couleurs et pour tous les goûts, nécessaire à un bon melting-pot des jeunes personnes actives et impliquées dans la société d’aujourd’hui et de demain.

J’ai été sélectionnée pour faire partie des 40under40, un groupe de 40 leadeurs en dessous de 40 ans identifiés pour imaginer et développer de nouvelles façons d’organiser la société. J’ai eu divers awards dont Women100, TPML Bruxelloise de l’année, Futur City Champion (Fondation Roi Baudouin)…
Je publie mon premier Management book “Open Up Your Organisation” chez la prestigieuse maison d’édition LannooCampus, où j’apporte un modèle innovant pour un leadership inclusif en me basant sur des histoires vécues.

2- Et votre vie professionnelle

J’ai toujours plusieurs plusieurs carrières en même temps, à la fois dans le monde privé et social.
Lorsque j’ai quitté les bancs de l’université, je me suis ruée vers le marché du travail. J’avais une telle envie d’apprendre, de me développer, de m’accomplir. J’ai toujours eu un attrait pour le secteur de l’énergie, pourquoi, je ne sais pas, enfin je peux vous dire en quoi l’énergie est primordiale dans le développement de notre ère et de nos sociétés, mais il s’agit surtout d’une attraction mystique. J’ai commencé en finance, même si j’ai toujours su que je ne ferais pas carrière en finance, j’estimais et j’estime encore, que la finance offre les bases nécessaires pour tout développement professionnel. J’ai ensuite eu l’opportunité de co-créer un département et une méthodologie de gestion de business process et de projet. Quelques années plus tard, j’étais à la tête de ce département avec 10 personnes, à Bruxelles et Paris, et travaillant avec des personnes localisées dans d’autres villes européennes. Ensuite, j’ai ressenti le besoin de retourner à l’opérationnel et j’ai occupé la fonction de pricing engineering. J’ai continué à m’amuser dans la même entreprise avec de nouvelles fonctions en innovation où j’ai accompagné diverses transformations dont celle des systèmes de management, chose qui m’a rapproché de la gestion humaine.
En parallèle, j’ai toujours eu des engagements sociétaux. Ma sensibilité m’a poussé à m’investir pour la jeunesse, surtout celle qu’on n’écoute pas, la culture, surtout celle qu’on ne voit pas, le féminisme inclusif, surtout celles qu’on ne sent pas. Sur mes temps libres, j’ai ainsi crée diverses structures associatives pour défendre les causes qui me tiennent à cœur, et replacer l’humain au cœur de mes actions. Cela vient de ma formation : la grande vertue des ingénieurs c’est qu’ils.elles sont câblés pour agir lorsqu’un problème est identifié. Le constat ne résout rien. Si il n’existe pas de solution, alors on la crée.
En 2019, après 10 ans de carrière professionnelle, j’ai décidé de changer complètement ma relation au travail, en quittant un poste confortable pour suivre ma mission de vie. J’ai réalisé que j’ai la spécificité d’être au croisement de différents champs qui, dans cette société, se croisent peu ou mal, que cela soit lié à la dimension sociale, économique, culturelle ou religieuse. Peu de gens circulent dans ces différents milieux.

J’ai donc pris la décision de faire le saut vers l’entrepreneuriat à plein temps et d’utiliser mon drive sociétal avec les compétences apprises dans le privé. Je me suis dès lors engagée à améliorer l’inclusion sur le marché du travail, le développement personnel des individus ainsi que l’ancrage des responsabilités sociétales d’entreprise. J’utilise mes compétences et expériences afin de former avec des méthodes ludiques et créatives, amenant un impact direct sur les personnes. J’interviens lors de diverses conférences pour partager mon expérience et ma vision systémique d’une transition équitable dans différentes sphères de la société.
Conservant mon engagement pour la transition énergétique, j’ai été nommée en 2020 par le gouvernement bruxellois en tant qu’administratrice du Brugel, l’autorité de régulation pour les marchés de l’électricité, du gaz et du contrôle du prix de l’eau à Bruxelles.
Je fais également partie du conseil d’administration de l’organisation internationale TeachforBelgium visant à réduire les iniquités scolaires.

3- Et pourquoi ce secteur d’activité

L’énergie et l’inclusion ne sont plus deux mondes à part qui se frottent dans ma vie: le combat est indissociable. Rares sont les personnes qui sont expertes sur les deux sujets à la fois. J’ai passé toute ma carrière à jongler avec les deux, sans comprendre pourquoi je ne pouvais pas choisir. Récemment, j’ai formulé ce que mon intuition me disait. Ce sont les deux faces d’une même pièce. S’il en manque une, votre pièce n’a aucune valeur.

Étant confrontée à plus de challenges que d’autres personnes correspondant à mon profil, à cause du fait que mon apparence ne satisfait pas tout le monde, j’ai toujours décidé que cela ne me définirait pas. C’est sans doute pour cela que je vais autant chercher au-delà des apparences, et qu’au fil du temps j’ai développé un modèle pour aider à travailler ensemble, qu’importe d’où l’on vient et d’où on va. Il faut être ouvert à l’autre tout en restant soi-même et donc user de patience et d’empathie pour trouver ce safe space dans lequel on peut se retrouver. O.P.E.N. Openness, Patience, Empathy, Natural. Je développe ce modèle dans mon livre, OPEN Up Your Organisation.

Pendant longtemps je refusais de parler de diversité car je n’aime pas la façon limitée qu’on a d’en discuter. Puis à un moment, j’ai fait un switch: à la place de refuser d’en parler, et si j’en parlais à ma manière ?

J’ai dû faire face au syndrome de l’imposteur qui malgré ma confiance en moi, me poursuit. Le programme 40u40 m’a beaucoup aidé, car j’ai rencontré une série de mentors qui m’ont encouragé et répété ma légitimité. J’ai suivi une formation pour écrire, et trouvé assez rapidement une maison d’édition pour m’accompagner (je voudrais souligner: grâce au pouvoir de la sororité). Comme le challenge n’était pas assez haut, j’ai décidé d’écrire en anglais ;). J’ai gardé secret ce projet car je n’étais pas sûre d’y arriver. Maintenant je suis fière de voir ce rêve se concrétiser et partager non seulement ma vision, mais également celle des 12 leaders qui ont accepté d’associer leur voix avec moi. J’ai tenu ma promesse: j’apprends, je transmets et je m’amuse!

4– Quels sont vos projets à venir ?

J’ai deux autres projets d’ouvrage, mais maintenant je me concentre pour développer l’actuel ;). Je crée des workshops pour les donner dans des organisations et prépare plusieurs conférences à venir.

5- Quels sont les moments ou événements qui ont changé votre vie

Il y en a eu beaucoup! J’ai vécu beaucoup de discrimination mais j’essaye de ne pas rester là-dessus. Si je pense au saut professionnel que j’ai fait, alors c’est lié au sens mais également…

Mes deux retours de maternité ont été chaotiques. Je ressentais cette culpabilisation de ne pas être assez présente au travail et à la maison…et ne trouvait plus mon compte dans une entreprise classique… en résultant un décrochage irréversible. C’est également cette évolution personnelle qui m’a poussé à être indépendante: j’aime aller chercher mes enfants à l’école à l’heure et c’était quasi impossible avec mon précédent travail. J’ai des horaires très flexibles aujourd’hui, je travaille en journée, en soirée et en weekend. Je m’organise suffisamment pour avoir un bon équilibre vie de famille – vie professionnelle, sans avoir l’impression de louper quoi que ce soit.

6– Quel est votre conseil pour les femmes qui veulent réussir ?

Trouver votre propre voie. Il n’y a pas de modèle type. Il n’y a pas de « bon » modèle. Il y a uniquement le modèle qui vous convient. Ce qui marche pour moi, peut ou ne peut pas marcher pour une autre.

En tant que femme, on subit trop de pression. Il faut essayer de s’ancrer et d’accepter son imperfection. Ce n’est pas facile et j’y travaille toujours.

Contrairement à ce qu’on dit, c’est possible de tout avoir!

7- Votre avis sur la situation de la femme

Je pense que les femmes en Belgique ont beaucoup de droits mais le problème c’est que non seulement ces droits ne sont pas suffisamment revendiqués mais en plus, l’implémentation n’est pas homogène. Le féminisme se doit d’être inclusif: ce n’est pas qu’un problème de femmes! Il s’agit d’un problème qui concerne tous les êtres humains.
J’ai toujours pensé que la société discriminait les femmes en ce qui concerne leur maternité : pendant la grossesse (pression pour être « normale » alors qu’une vie se crée en nous) et après l’accouchement (être une superwoman qui gère tout sans se plaindre). Cependant, lorsque j’ai eu mon premier enfant et que j’ai vu mon mari retourner au travail après seulement 10 jours, le cœur brisé, et me demander une photo toutes les dix minutes, j’ai réalisé que la société discrimine les hommes en ce qui concerne leur paternité. Cela a été un véritable changement de mentalité.
C’est aussi un droit pour les hommes de passer du temps avec leurs bébés, et c’est aussi un droit pour les hommes d’avoir un congé de paternité décent. (Je ne dis pas par ailleurs que le congé maternité actuel est décent).
Je crois fermement que les hommes ET les femmes sont ensemble sur ce sujet.
Il ne s’agit pas que de ramener les femmes plus tôt au travail, mais surtout de donner aux hommes le droit d’être des pères présents.
Il ne s’agit pas seulement de la valeur économique du travail des femmes, mais aussi de la valeur sociale de l’amour des parents (qui peut certainement être valorisé financièrement).
Le féminisme, c’est l’égalité des hommes et des femmes, et les deux ont tout à y gagner.
Sans prendre le contrôle sur ce mouvement, les hommes peuvent s’y engager un peu plus (beaucoup même…).
Le féminisme aussi doit être inclusif !

8– Votre avis sur le site ?

C’est très sympa, on voit des profils d’un peu partout dans le monde, cela permet de découvrir de nouvelles personnes. Bravo pour ce travail!

9– Dernier mot ?

Je vous remercie de m’avoir sollicitée pour cette interview. J’espère que cela pourra inspirer d’autres personnes. Si vos lecteurs et lectrices veulent en savoir plus, n’hésitez pas à consulter mon site web: www.ihsanehaouach.com, et à me suivre sur instagram et sur Linkedin !

Entretien réalisé par Aziz HARCHA
Avril 2023

Quitter la version mobile