Samar Miled

1- Bonjour, avant tout, pouvez-vous vous présenter, nous raconter votre parcours et vos activités

D’abord, j’aimerais vous remercier pour l’intérêt que vous portez à mon travail.
Samar Miled, je suis normalienne de formation et professeure agrégée de langue et de littérature françaises. Après avoir décroché mon agrégation en Tunisie (en 2015), j’ai enseigné le français professionnel pendant deux ans à l’Institut Supérieur des Études Appliquées et de Technologie (INSAT). Ce fut une première immersion dans le monde professionnel et une très belle expérience humaine : une belle rencontre avec les étudiants et les collègues. Cela dit, à 25 ans, j’ai jugé que j’avais encore « toute la vie devant moi », et le monde entier surtout, avec tout ce qu’il avait à m’offrir. J’ai donc choisi la voie du voyage. Je ne savais pas à ce moment-là que c’était ma veine poétique qui me poussait à partir.

2- Et votre vie professionnelle ?

L’INSAT où j’avais enseigné pendant deux ans après l’obtention de mon diplôme ne correspondait plus à mes aspirations professionnelles. J’estime que j’aurais été beaucoup plus épanouie si j’avais été affectée dans une université littéraire en Tunisie. J’ai donc choisi de renouer avec les études littéraires. J’ai décroché une bourse et je suis partie étudier à Chicago où j’ai poursuivi un master en littérature francophone de 2017 à 2019. Je suis actuellement étudiante à Duke University, aux États-Unis, où je finis un doctorat en études francophones décoloniales. Ma recherche porte essentiellement sur la représentation de la Résistance et de la Révolution dans la littérature tunisienne francophone, mais je m’intéresse également, de manière générale, à la littérature et à la philosophie africaines.

En parallèle avec mes études en littérature, j’ai écrit et publié mon premier recueil de poésie Tunisie Sucrée-Salée en 2020 et mon premier récit Lettre à ma grand-mère en 2022. Printemps, mon troisième livre est en cours de publication.

3- Et pourquoi ce secteur d’activité

Je suis de tempérament « rêveur », j’aime courir derrière la beauté, il me fallait donc une profession où l’on côtoie la beauté au quotidien. C’est pour cette raison que j’ai repris mes études. J’avais encore soif de littérature. Le français professionnel était trop « professionnel » pour moi, il ne m’offrait aucune évasion, aucun sentiment. Alors, je suis partie : un peu pour étudier mais surtout pour voyager, pour satisfaire ma soif de langues étrangères et découvrir les couleurs du monde.

Ce qui ne devait être qu’une courte expérience de deux ans a fini par se transformer en une « quête de soi ». À la question : « quel est votre livre tunisien préféré » ? je ne trouvais pas de réponse. Mes années de littérature francophone en Tunisie se limitaient à la littérature étrangère (française, algérienne, marocaine, sénégalaise etc.) mais ma connaissance des auteurs tunisiens était très pauvre.

Jugeant qu’il était de mon/notre devoir de connaitre notre littérature tunisienne et de la faire connaitre au-delà des frontières, j’ai choisi de me consacrer entièrement à la littérature de mon pays pour rattraper le temps perdu.

Quant à l’écriture, je pense que ce n’est pas « une activité » qu’on choisit. Bien qu’elle exige une certaine discipline et une grande technicité, je pense qu’il y a une grande part de magie sans laquelle le texte ne peut s’écrire. Il y a une force mystérieuse qui dicte les mots et des étincelles qui ponctuent les phrases.
Et comme la vie nous réserve plein de surprises, et que rien n’arrive au hasard, je comprends aujourd’hui, que si je n’étais pas partie, qui sait si j’aurais écrit ? J’ai commencé à écrire mon premier recueil de poésie Tunisie Sucrée-Salée (2020) à Chicago, parce que la Tunisie me manquait.

4– Quels sont vos projets à venir ?

Mon deuxième livre, Lettre à ma grand-mère, est à mi-chemin entre le récit et la poésie. C’est une première rencontre avec l’écriture « romanesque », une première tentative de m’ouvrir sur un genre nouveau : sortir de ma zone de confort, la poésie, qui me vient très naturellement, et m’acheminer petit à petit vers le roman, qui exige une discipline et une patience dont je n’avais pas l’habitude avant l’écriture de ma lettre.

Lettre à ma grand-mère a trouvé beaucoup de succès en Tunisie (prix national « Zoubeida Bchir pour les écrits féminins 2022 »), ce qui m’encourage à entreprendre un deuxième projet dans le même genre. Je viens d’entamer l’écriture d’une œuvre de fiction, mon premier roman. Mais en attendant, je compte publier mon deuxième recueil de poésie, Printemps, dans les prochains mois, et à présent, je me consacre entièrement à ma thèse de doctorat.

5- Quels sont les moments ou événements qui ont changé votre vie

A cause de la distance (choisie et assumée), j’ai vécu l’expérience du « manque ». Une expérience terrible mais d’une extrême importance. J’ai compris qu’un pays, ça ne tenait pas qu’à une géographie déterminée par les hommes, j’ai compris, que le pays, ça voyage avec le voyageur. On le quitte, mais il ne nous quitte jamais. J’ai donc commencé à écrire pour ne jamais partir.

6– Quel est votre conseil pour les femmes qui veulent réussir ?

Suivez votre passion, car un travail sans magie et une vie sans amour, ne sont que « ruine de l’âme ». Travaillez pour vivre et ne vivez pas pour travailler. Et enfin, la détermination et l’audace restent vos meilleures alliées, car vous pouvez réaliser votre plus grand rêve, pour vous rendre compte après, que ce n’était qu’une étoile dans un ciel plein d’étoiles. J’ai réalisé mon rêve : j’ai été acceptée à l’École Normale Supérieure de Tunis après un concours difficile, et après de longues nuits sans sommeil, j’ai eu mon agrégation en 2015. J’ai ressenti une belle satisfaction – une passante – mais le poste qu’on m’avait assigné après cinq années de poésie, ne m’apportait pas l’épanouissement auquel j’aspirais. J’ai donc fait de nouveaux rêves, et je les ai suivis.

7- Votre avis sur la situation de la femme en Tunisie

La femme Tunisienne est courageuse. Elle est présente dans tous les secteurs et elle brille dans différents domaines. Elle est extraordinaire par ses combats. Elle survit quand elle souffre. Elle se fâche et elle dit non… Elle se réinvente une vie quand celle qu’elle mène lui déplait. Elle s’arrache une liberté, elle se fait une place, elle s’affirme par son travail et par sa créativité.

Le machisme est vieux comme le monde, le paternalisme est encore présent, et la violence guette toutes les femmes, mais les femmes sont « des laboureuses » (au sens propre et figuré), et elles luttent jusqu’à l’épuisement (une pensée attristée à toutes les femmes qui ont succombé à leurs blessures, en Tunisie et ailleurs).

8– Votre avis sur le site ?

Je vous félicite pour ce bel espace destiné aux femmes. Vous faites preuve d’une grande générosité en mettant en avant des profils féminins internationaux. Votre journalisme féministe et engagé impose le plus grand respect.

9– Dernier mot ?

Encore une fois, merci pour votre professionnalisme et pour votre générosité.

Je voudrais, pour finir, m’adresser aux jeunes qui hésitent à s’embarquer dans l’aventure littéraire (et/ou artistique) : « on m’a souvent dit que les littéraires finissaient pauvres, je me sens pourtant la plus riche du monde ».

Entretien réalisé par Aziz HARCHA
Juillet 2023

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