InterviewsLes femmes d'Afrique

Sophia Charai

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Bonjour, avant tout, pouvez-vous vous présenter SVP ?

Sophia Charai, je  suis chanteuse, auteur compositeur, et interprète avant tout , mais je me présente comme une artiste intuitive, assez autodidacte en dehors de l’architecture pour lequel j’ai obtenu un diplôme , ah oui et aussi en musicothérapie j’ai passé un diplôme assez récemment .

En fait je suis une coloriste à la manière d’un Matisse qui puise son inspiration dans les voyages. La couleur est quelque chose qui m’est vite devenu indispensable, dans  toutes mes maisons dès que j’arrive , je repeins façon arc en ciel pour créer l’illusion que je suis ailleurs , cet ailleurs nourri par l’imaginaire.   Quand j’étais petite je disais: » quand je serais grande je serais « voyageuse » , et comme Joséphine Baker j’adopterais plein d’enfants … » Alors pour cela,  je crois que je suis devenue chanteuse comme si mon inconscient avait réalisé cela bien avant moi

J’ai toujours aimé m’immerger dans différentes disciplines, alors je me présente comme une artiste intuitive et décalée qui aime avant tout s’aventurer  sur différents fronts de la création.

Je suis tour à tour, chanteuse  et créatrice d’univers , dans la  mode, la décoration, le design,  la photographie,  la peinture … je crois que j’ai besoin de toutes ces facettes pour nourrir mon essence et selon les périodes,  j’ai besoin d’aller me ressourcer et de rompre la monotonie, pour cultiver ma flamme  dans des habitudes .

je crois que la création est en mouvement , permanent , un renouvellement constant évolutif , comme la vie qui est une danse . je suis incapable de faire deux fois le même album , ou la même recette de cuisine  mon fils me le reproche..oui pour les enfants la répétition est très sécurisante.

Ce que je préfère dans ma vie ce sont les rencontres , les partages ; les aventures communes pour un clip, un défilé, un show , un concert ..

j’ai eu la chance de faire des rencontres formidables , comme les 4 garçons dans le vent , non pas les Beatles , mais mes amis peintres et scénographes de la compagnie OZ theâterland  conduite par Gary Didier qui ont contribué à la création de tous ces événements artistiques dans ma carrière depuis 20 ans .

Depuis peu j’ai découvert que cet élan qui me pousse à accompagner les gens dans une voie de libération grâce à la musicothérapie , et la voix ; la voix en effet est la voie royale pour un chemin spirituel dans beaucoup de traditions  , et j’ai eu envie de partager cette dimension aussi dans des pratiques individuelles et collectives. J’ ai commencé l’an dernier au vu de ce contexte à donner des stages à Marseille .

Racontez-nous un peu votre parcours

Avant tout il y a un mot qui vient de suite , éclectique , et ensuite gourmand et enfin urgent. Une touche à tout qui met les mains dans la matière et qui plonge avec appétit dans la terre pour exprimer mon hypersensibilité , mon urgence à me relier au monde .

Je crois que c’est ce prodige britannique  violoniste et chef d’orchestre Yehudi Menuhin qui a dit que la musique est notre premier langage et traduit  notre incompressible besoin de se relier aux autres.

j’ai été très tôt attirée par la musique qui fait partie de ma vie depuis l’âge de 5 ans , le jour où j’ai reçu un mange disque offert par un ami de mes parents.

L’envie de chanter s’est manifestée en écoutant les voix noires du jazz,  du disco ,  de la pop et toute la musique motown en passant par Donna Summer ,Aretha franklin, Ella fitzgerald , Nina Simone et toutes ces étoiles  qui brillent dans mon panthéon de chanteuses.

A mon arrivée à Paris  dans une école d’architecture j’ai fait des rencontres qui ont définitivement orienté mes choix  de vie . Sans même m’en apercevoir j’ai découvert que ma place était sur scène et que chanter et partager cette énergie du chant était ma véritable vocation .

Petit clin d’œil de  la vie , le premier article qui parle de moi de Daoudi Bouziane dans Libération à l’époque journal encore mythique, depuis descendu  dans la fosse aux lions , titre sur moi LA VOIX NOIRE MAROCAINE.

Sitôt obtenu mon diplôme d’architecture , me voilà lancée dans l’aventure avec des compositeurs pour écrire des chansons originales et explorer la scène des festivals de jazz  et  dans tous les clubs de Paris comme le china club, le Sattelite café.

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Je suis alors entourée d’ une grande équipe de douze musiciens aux origines plurielles de plusieurs continents qui rassemblent mes influences, mes amours de toujours. Dans ce grand chaudron on trouve des percussions latines, des percussions orientales, des instruments à vent, sax et clarinette , un violon , une guitare flamenca , un oud , une contrebasse arménienne, un accordéon des Balkans des chœurs indiens.

Un premier disque MOUJA sera d’ailleurs enregistré en Live avec cette équipe dans l’antre des musiques du monde sous la houlette de philippe gueugnon un programmateur et merveilleux ingé- son,  ami de Rémy kolpa kolpoul célèbre chroniqueur de Nova  ( paix a son âme ), habitué des lieux

Dans cette période naît l’identité de la musique que je souhaite plus que tout porter . Une musique métissée, qui tisse des passerelles entre les mondes , qui se moque des codes , qui se revendique libre , et éclectique , en passant du jazz en arabe, -ma version  de cole porter « I love paris » est toujours joué sur Fip depuis plus de 20 ans- , à la bossa nova au reggae, de la pop au six-huit gnaoui, tout est prétexte au brassage et à l’expérimentation joyeuse.

Peu après la naissance de mon fils,  mes voyages en Inde , de nouvelles couleurs vont apparaître dans ma vie. Une collection haute couture  » Swing gipsy » créée au Maroc va ouvrir la voie des défilés et collections à venir et l’alternance entre musique et création de stylisme et design.

Installée entre Marrakech et Paris , la maison que je dessine et construit  va devenir le lieu idéal pour  des résidences  artistiques pour continuer de  rêver et fabriquer mes clips , mes albums,  mes collections et  mes créations avec d’ autres artistes.

La rencontre avec un large public se fait avec la porte d’universal  qui s’ouvre en grand avec l’album Pichu aux couleurs tziganes et balkans écrit en Darija. Suivra  Blue Nomada écrit en plusieurs langues et sur des rythmes toujours plus au sud . L’exploration continue encore et toujours  pour inventer se réinventer.

Comment est née cette passion pour la musique

Ma passion pour la musique est née très jeune, je passais des heures à écouter la collection de disques de mes parents, Louis Amstrong , Donna hightower et tant d’autres ainsi que de la musique classique.

La musique m’accompagne depuis le début de mon enfance, je passais des heures à chanter dans ma chambre les musiques pop , motown de l’époque, les groupes de musique qui passaient en boite de nuit .
En effet j’habitais en face d’une célèbre boite de nuit à Aïn Diab , le ZOOM ZOOM , qui a aujourd’hui disparu . Elle était tenue par un gars extraordinaire et là j’aimerais vraiment lui rendre hommage car il s’agit du mari d’ une cousine de maman très proche. Il s’appelait Redouane Ghylaine , paix à son âme , Rédy pour les intimes . Mon oncle Rédy était un personnage de film. Haut en couleurs , fou de musique, passionné par son métier , et bourré d’un enthousiasme contagieux dès qu’il s’agissait de musique . Je me rappelle de lui comme si c’était hier, surgissant le soir avec le dernier tube de Boney M dans notre salon , et se mettant à danser avec une joie sans limites, devant sa dernière découverte musicale. Je me joignai à lui sans réserve et c’était un véritable feu d’artifice de joie dans la maison.

Parfois aussi il m’emmenait dans son antre secret , la journée alors que les lieux étaient déserts et c’était incroyable d’imaginer ce lieu la nuit, comment il pouvait se transformer. Je me sentais tout à fait privilégiée d’avoir accès à ce lieu, avant que le spectacle des gens de la nuit ne commence. Bien sûr c’est quelque chose qui a très largement nourri un imaginaire fantasmé du monde de la musique . Je ne savais pas comment , mais une chose était sûre , inconsciemment je savais déjà que je voulais en faire partie. De cet endroit se dégageaient , un délicieux goût d’interdit , d’odeurs mélangées de plastique et de cendres froides de cigarettes, et une énergie étrange . Un mystère qui m’attirait parce qu’il m’était inconnu.
Je ne remercierais jamais assez tonton Rédy de m’avoir fait partager sa passion.

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Plus tard j’ai eu aussi une autre fée qui s’est penchée sur ma destinée ce fut ma tante Monique, Mounia , la femme de mon oncle Abdelhak el Alami. Une bénédiction dans ma famille . Tous les deux sont aujourd’hui au ciel et je les bénis d’avoir existé dans ma vie, pour toute la richesse qu’ ils y ont déposé , la part de rêve, de magie et de fantastique qui seront toujours présents dans mon cœur . Avec ma tante , j’ai découvert Stan getz , le Jazz la bossa nova , une musique toute nouvelle du Brésil qui m’a fait basculer dans un monde dans lequel je me sentais comme un poisson dans l’eau, une nouvelle terre.

Un peu plus tard encore , à mon arrivée à Paris , inscrite en Architecture, je participe au sein de l’école à un premier spectacle chanté et cette fois plus aucun doute c’est la révélation . J’ai trouvé ma place et même si j’ose à peine me le formuler , je sais que plus rien ne sera comme avant . j’écoute Ella Fitzgerald et Billie Holyday en boucle et j’ai la conviction que chanter sur scène est le premier endroit au monde où je commence à respirer facilement.

Ensuite je fréquente les clubs de jazz, participe à des scènes ouvertes des concours des tremplins et commence à faire des rencontres dans le paris cosmopolite du moment sur la scène world parisienne.

Quels sont vos projets à venir

Je ne suis pas très douée pour me projeter dans l’avenir . Dans ma vie, tout ce qui m’ est arrivé s’est passé presque à mon insu . Je sais que ça peut paraître étrange de dire cela mais je crois vraiment à une main invisible qui a toujours guidé mes pas là ou je ne m’attendais pas ; certains disent que le hasard est le nom poli que l’on donne à dieu moi je crois que c’est certain que nous sommes guidés.

C’est vrai que j’ai fait des tas de choses que je n’avais pas du tout imaginées et qui se sont présentées à moi d’une façon assez inattendue. Donc je ne sais pas dire ce qui m’attends car j’aime à dire et à me définir comme quelqu’un d’assez bohême qui vit l ‘instant présent , et aussi je n’aime pas beaucoup parler de mes projets à l’avance de peur soit, de les enfermer ou de les figer , soit de peur qu’ils ne s’évanouissent.
Donc je pourrais parler de futurs possibles car beaucoup de choses me passionnent et m’ intéressent.

En ce moment , je suis très attirée par la dimension spirituelle de la musique . Le chant a été pour moi une véritable thérapie et l’aspect énergétique de la voix qui soigne est devenu une évidence . J’en suis arrivée à me demander pourquoi cela fonctionnait aussi bien . J’ai eu l’occasion de travailler 6 mois dans un grand hôpital psychiatrique à Rodez en France, (encore un endroit qui m’a toujours attirée depuis petite), et j’ai découvert que le chant avait un pouvoir de guérison inouï sur les personnes. Cela m’a beaucoup fait réfléchir et j’ai cherché à comprendre comment cela fonctionnait à travers les neurosciences, le fonctionnement du cerveau et de sa neuroplasticité, et les dernières découvertes à ce sujet .

Je ne sais pas encore sous quelles formes se traduiront ses compréhensions , mais j’ai déjà entamé une série de stages de voix et guérison l’an dernier et j’imagine que ce n’est que le début d’une toute nouvelle route qui se dessine . J’imagine assez bien faire des conférences sur le sujet car c’est quelque chose encore d ‘assez peu connu , en dehors des états unis , et je pense que j’aimerais transmettre ces savoirs que j’ai acquis au cours de mon expérience et qui sont éclairés par de nouvelles compréhensions. La musique et la voix ont un impact considérable sur notre psyché , notre biologie et nos cellules . Un pouvoir énorme de réharmonisation , de réalignement, pour rétablir la cohérence la paix dans notre âme.

Si j’avais une baguette magique, je pense que je créerais des centres où l’on enseigne le chant, la musique pour modéliser les relations humaines sous un jour nouveau où la rencontre entre deux voix augure d’une manière de communiquer totalement différente de celle que l’on nous enseigne. Une manière qui restaure le respect et l’intégrité des êtres et qui prend en compte leurs différences et enseigne l’amour la tolérance la bienveillance, en place de la peur , la méfiance, la suspicion, la compétition, en somme toutes les valeurs du monde moderne.

Je ne sais pas si cela deviendra un projet mais c’est quelque chose que j ‘aimerais pouvoir créer avec des partenaires et développer pour les enfants qui n’ont pas accès à des conditions favorables pour leur construction et leur épanouissement et notamment au Maroc.

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Je crois que derrière cette envie de chanter pour me réparer se cachait l’idée de transmettre la joie , de pouvoir ramener un peu d’équilibre , de transmettre quelque chose qui nous dépasse, et dont on est simplement le canal , le véhicule.

On m’a dit une fois que j’étais très « soufi « dans ma manière de considérer ma vie, mon art, ma pratique, je ne sais pas mais c’est vrai que ce n’est pas l’ambition ni la carrière qui guide mes pas, j’ai besoin d’être inspirée et que les mots deviennent une nécessité. Mes albums se nourrissent de ma vie , de mes expériences , j’ ai besoin de plus de temps que d’autres pour accoucher d’un album.. peut-être aussi parce que je navigue sur plusieurs fronts.

J’ai une collection de vêtements que je crée entre chaque album en alternance depuis 17 ans maintenant.. c’est devenu presque une seconde respiration.

J’ai aussi le projet de terminer une série de peintures d’après une première série d’encres de chine réalisées il y a 3 ans et que j’ai du mettre en attente car la musique reprenait.

Les projets de musique et d’albums sont aussi présents en ce moment , mais je sais que c’est une gestation longue car je ne peux me détacher de ce que nous vivons dans le monde en ce moment. Écrire des chansons n’est pas juste un moment d’écriture, un artiste est aussi témoin d’une époque et le message que j’aimerais délivrer n’est pas encore prêt .

J’ai autant de projets que d ‘idées , mais lesquelles prendront le chemin de la manifestation .. mystère.. Je crois que j’aime assez l’idée de laisser l’avenir ouvert et de ne pas savoir ce que me réserve demain . Je suis horriblement malheureuse si je sais à l’avance ce qui m’attend , je suis un électron libre qui n’aime rien autant que de laisser les étoiles me guider pour faire de merveilleuses rencontres pour orienter mes projets , ou simplement l’ordre dans lequel ils doivent s’organiser et j ‘ai la chance ou la malchance de ne pas tenir en place . Je me sens nomade des lieux et des disciplines que j’aborde . c’est mon fonctionnement, ma façon d’avancer de me réinventer , cela prend du temps mais je ne sais pas faire autrement que créer sur plusieurs fronts pour nourrir ma créativité.

Depuis quelques années je travaille aussi sur un nouvel instrument , le piano, pour être seule sur scène avec ma voix et un piano dans un futur proche.

J’ai aussi le projet de partir m’installer dans un endroit proche de la nature très prochainement, qui sera l’écrin de mes nouveaux projets pour acquérir plus d’indépendance dans mes projets et d’espace pour créer et recevoir mes amis pour de nouvelles collaborations.

Je travaille aussi sur le projet d’un livre de cuisine avec mon frère qui est un grand artiste et grand chef au Maroc dans sa maison d’hôtes à Marrakech, la « casa taos ».

La liste de mes envies est assez longue et j’en ai déjà coché quelques unes ( ouf sauvée), ah oui j’oubliais écrire un one woman show , et oui ça fait aussi partie de ma liste, depuis le temps qu’on me dit que j’suis comédienne, réaliser un film … ect

Bref très sérieusement mon grand projet depuis que j’ai passé le cap des 50 ans c’est d’être moi-même avec toutes mes facettes!

Entretien réalisé par Aziz HARCHA
2020

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