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Monia Rizkallah

Soliste dans l'orchestre de l’opéra de Berlin, le Deutsche Oper Berlin.

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Bonjour, Monia. Avant tout, pouvez-vous vous présenter, s’il vous plaît ?

Monia Rizkallah, je suis née à Bordeaux, tout comme mes deux sœurs, de parents immigrés marocains ; mon père était chauffeur-mécanicien et ma mère couturière. Je dois à mes parents ce que je suis aujourd’hui. C’est grâce à eux que je suis devenue violoniste. Notamment, mes parents m’ont appris que tout est possible avec du travail et de la persévérance et, forte de cela, j’occupe aujourd’hui un poste de soliste dans le merveilleux orchestre de l’opéra de Berlin, le Deutsche Oper Berlin.

En 2017, j’ai développé le programme d’apprentissage professionnalisant de musique classique « El Akademia Masterclass » dédié à la jeunesse marocaine, afin de transmettre un savoir-faire reçu de mes professeurs pendant tant d’années. El Akademia Masterclass se déroule habituellement l’été au Maroc. Les participants, sélectionnés sur leurs seuls talent et motivation, ont alors l’opportunité de côtoyer des professionnels d’orchestres internationaux et de former l’Orchestre national des jeunes du Maroc, l’ONJM, qui se produit lors de grands concerts en plein air.

Je me sens très proche des jeunes de ce programme ; beaucoup n’ont pas la possibilité matérielle de poursuivre un cycle de perfectionnement malgré leur exceptionnel talent. Les masterclasses sont donc gratuites pour les étudiants et je me bats pour leur obtenir des bourses d’études couvrant leurs frais de bouche et d’hébergement. El Akademia ne peut ainsi perdurer que grâce à des soutiens et je suis toujours à la recherche de sponsors, même si certains — que je remercie —, nous sont fidèles année après année.

Je suis très fière d’El Akademia Masterclass — vivement que nous ayons vaincu la pandémie pour qu’il existe de nouveau ! —, je suis fière de ce que ce projet apporte aux étudiants, musicalement, mais aussi humainement. Durant les jours passés ensemble, je les invite à penser que tout est possible, comme l’on fait pour moi mes parents et mes professeurs. Cela me tient à cœur du fait de mes origines et de mon parcours.

Justement, racontez-nous un peu votre parcours…

Tout a commencé à Bordeaux où mon père — paix à son âme — m’a proposé de m’initier à la musique classique et de choisir un instrument. Le violon s’imposa à moi.

Après des débuts à l’école de musique de mon quartier avec l’extraordinaire professeure Yvette Vallée, j’ai poursuivi au Conservatoire de Bordeaux mes études de musique et obtenu conjointement la médaille d’or au conservatoire de Bordeaux et le baccalauréat. Puis sont venus les premiers prix de violon et de musique de chambre du Conservatoire national supérieur de musique et de danse de Paris. S’en est suivi un perfectionnement à l’international à la European Mozart Academy de Varsovie et à l’université de Berlin.

En 2000, j’ai intégré le Deutsche Oper Berlin comme remplaçante ; j’y suis depuis 2004 premier chef d’attaque. Je suis régulièrement invitée à jouer au sein d’orchestres prestigieux de toutes nationalités, sous la direction de chefs d’orchestre célèbres, et je collabore avec de grands chanteurs d’opéra.

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Je crois en la force de la musique pour unir les peuples. En témoigne ma participation au World Orchestra for Peace et au West-Eastern Divan Orchestra. Ce dernier, sous la direction de Daniel Barenboïm, œuvre pour le dialogue et la paix entre Juifs et Arabes.

Je crois aussi à la promotion sociale par la musique. C’est pour cela que j’ai fondé El Akademia Masterclass qui, comme je l’ai déjà évoqué, prépare de jeunes musiciens marocains méritants à intégrer des orchestres professionnels.

Comment est née cette passion pour la musique, et pour le violon en particulier ?

La musique est une affaire de famille. Je me souviens de grandes tablées et de soirées festives à Casablanca, chez ma grand-mère, où, lors des vacances d’été, entourées de nos tantes, nos oncles, nos cousines et cousins, mes sœurs et moi dansions, chantions et frappions des mains après le dîner. Quant à mes premiers contacts avec la musique classique, c’est à mon père que je les dois. Ce mélomane éclectique aimait aussi bien écouter des concertos de violon de Beethoven ou Mozart, que des chansons de Oum Kalsoum ou de Farid Al Atrach.
J’avais sept ans lorsqu’il proposa à ces trois filles de choisir un instrument de musique. Au cours des concerts que nous regardions alors ensemble à la télévision, l’instrument le plus visible était le violon. J’avais remarqué que le violoniste à la droite du chef d’orchestre était davantage l’objet d’attention. Et, à la fin des concerts, il recevait des fleurs ! Cela me fascinait. C’était ce que je voulais ! Ce choix n’a jamais été remis en question et je partage avec mon instrument une relation émotionnelle et physique. Ses notes vibrent sous mes doigts et dans le haut de mon corps. Ce fidèle compagnon ne pardonne rien. Il est un baromètre de mon état d’esprit.

 

Que vous fassiez partie de l’Opéra de Berlin, c’est un honneur pour le Maroc ?

Nous comptons plus de vingt nationalités à l’Opéra de Berlin et je suis fière de pouvoir représenter le Maroc dans le milieu encore traditionnel et conservateur des grandes maisons d’opéra allemandes.
Bien que née en France, je n’oublie pas mon pays d’origine. Aussi, une de mes plus grandes joies est de m’engager au Maroc, directement sur place, afin de partager avec les jeunes musiciens du pays l’expérience que j’ai acquise auprès des plus grands artistes internationaux. Et si je peux être un exemple pour les talents marocains de demain et les motiver à rêver d’une carrière de musiciens professionnels, j’aurai réussi mon pari.

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Pourquoi avoir choisi l’Allemagne ?

Après des études supérieures à Paris et à Varsovie, j’ai passé le concours d’entrée à l’Université de Musique de Berlin, la UDK sur les conseils de Marek Janowski, chef d’orchestre de renommée internationale. Berlin est une ville impressionnante par ses volumes. Tout y est tellement grand ! Cela a été ma première impression. Les choses sont très structurées. La ponctualité m’a d’ailleurs posé quelques soucis, mais je suis devenue plus ponctuelle qu’une montre suisse !

Puis les choses se sont enchaînées. En 2000, j’ai passé une audition au Deutsche Oper Berlin pour un poste de remplaçante, ce qui m’a permis de financer la poursuite de mes études à Berlin. De concours en concours, après deux ans de stage, j’ai été titularisée et j’ai occupé les postes de violon du rang, puis premier chef d’attaque dans l’orchestre du Deutsche Oper Berlin.

Aujourd’hui, je vis à Berlin entourée de ma famille et de mes amis, et j’y suis très heureuse. C’était incontestablement une très bonne décision de choisir l’Allemagne, et plus précisément Berlin, pour vivre ma passion : la musique classique.

 

Quels sont les moments ou événements qui ont changé votre vie ?

Nous avons tous besoin de personnes qui croient en nous, de personnes qui font exister le talent de qui sommeille en nous et qui, pour un artiste, le rende visible par le public. On croise sur notre chemin des hommes et des femmes qui nous motivent, nous inspirent et assument un rôle de modèle.

Je suis née sous une étoile favorable. Les nombreuses rencontres que j’ai faites dans ma vie m’ont permis de trouver ma voix et de vivre de ma passion ; en premier lieu, mes professeurs qui ont su révéler et mettre en lumière mes facilités au violon. D’ailleurs, je dois beaucoup à mon premier professeur de violon, Mme Vallée. Je ne citerai personne d’autre, car je ne pourrais pas être exhaustive.

Quels sont vos projets à venir ?

André Azoulay m’a nommée l’année dernière directrice artistique du Printemps musical des Alizés, le festival de musique de chambre d’Essaouira, qui aurait dû fêter ses vingt ans en avril dernier. Je suis très honorée de débuter cette collaboration et nous travaillons sur le report de cette édition très prometteuse.

Notre projet El Akademia Masterclass qui aurait dû se dérouler en juillet dernier a également été reporté du fait de la pandémie, et son programme bouleversé. La quatrième édition d’El Akademia aura donc lieu cet été si la situation sanitaire est favorable, et je travaille à sa préparation et à la recherche de soutiens.

J’espère aussi de tout cœur pouvoir, dans un futur proche, présenter l’ONJM au Young Orchestra Festival de Berlin, où se produisent les meilleurs orchestres de jeunes du monde. Nos jeunes sauront prouver qu’ils en sont dignes, tout comme ils sont aujourd’hui très fiers — ainsi que moi-même — de la très grande marque de confiance que Sa Majesté, le Roi Mohammed VI, fait à El Akademia en acceptant que Son Altesse Royale, la Princesse Lalla Meryem, soit la présidente d’honneur du projet El Akademia depuis maintenant trois années consécutives.

Quel est votre conseil pour les femmes qui veulent réussir ?

Aujourd’hui, en tant que musicienne et maman, en tant que femme et citoyenne du monde, mon message est que les femmes se battent pour voir aboutir ses rêves. Cependant, ce message ne s’adresse pas qu’aux femmes, il s’adresse tout autant aux hommes. Je rêve d’un monde où femmes et hommes trouvent chacun leur place dans un respect mutuel. Nous sommes ici sur terre car, depuis la nuit des temps, des femmes et des hommes se sont soutenus, entraidés et aimés. Nous avons besoin les uns des autres, en 2021 comme depuis toujours et pour toujours. Comment pourrait-il en être autrement ?

Votre avis sur notre site ?

De façon générale, je suis toujours très reconnaissante à la presse marocaine de mettre en lumière les métiers des arts, et notamment la musique classique. Ces métiers, qui offrent des moments de respiration aux âmes et tissent des liens entre les peuples, ne sont ni évidents ni courants au Maroc. Et pourtant, je sais que la curiosité des jeunes Marocains est grande pour en apprendre plus sur des professions en lien avec l’art et culture.

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Je voudrais aussi souligner la curiosité et le professionnalisme du premier portail dédié à la femme marocaine : Lamarocaine.com. Un mention spéciale pour M. Aziz HARCHA. Les recherches poussées que vous menez vous permettent de préparer et délivrer à votre public des histoires vraies et toujours d’une grande intégrité.

 

Un dernier mot ?

La culture et les arts ne résoudront, hélas, aucun problème à eux seuls, aucun conflit, aucune guerre, aucune pandémie. Mais la musique redonne espoir dans les moments difficiles. De plus, la musique est un langage universel. Elle favorise le dialogue, l’écoute et l’acceptation de l’autre. Il ne s’agit pas d’être toujours d’accord avec l’autre, mais d’accepter qu’il puisse avoir un autre point de vue, ce qui désamorce bien des incompréhensions.
Pour moi, la musique est un élément à intégrer dans l’école de la vie. Je me mobilise pour qu’elle soit partie intégrante de l’instruction générale. J’aimerais la voir dans les écoles au même niveau que les mathématiques ou la grammaire. La musique n’est pas un luxe, c’est une nécessité pour tous, et en particulier pour nos jeunes. Elle ne peut être réservée à une élite.

Mes derniers mots ? Que vivent la musique et les arts, ces magnifiques médecines de l’âme.

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