Camélia Guedah
1- Bonjour, avant tout, pouvez-vous vous présenter, nous raconter votre parcours et vos activités
Bonjour, je m’appelle Camélia Guedah.
J’ai grandi entre la France et le Maroc, entre une mère française, et un père berbère, entre deux cultures, entre deux mondes. J’ai très vite été habituée au sentiment de bannissement, dans le sens noble du terme, avec l’impression de devoir souvent m’en tenir aux portes pour apprendre, toujours dans l’entre deux.
J’ai grandi dans la nature, proche de la mer et entourée d’animaux. Rapidement, j’ai été passionnée par la communication sous toutes ses formes, l’exploration, l’innovation, les arts et la musique. J’étais convaincue par le fait de pouvoir parler aux animaux. À 6 ans, j’expliquais à mes camarades de classe les différentes émotions du caméléon. Cette envie de transmission ne m’a jamais quittée et à 30 ans, j’ai cherché à mettre au point un dispositif technologique pour communiquer avec les oiseaux, en partenariat avec différentes structures scientifiques. Nous avions réussi à avoir une bourse Microsoft AI for Earth pour le projet, mais ce dernier n’a jamais été jusqu’à son terme.
J’ai toujours aimé chanter pendant mes nombreux voyages. Je continue aujourd’hui d’entretenir ma voix, via des ateliers de chants, et ne manque pas une occasion d’entraîner mon entourage sur des chansons populaires !
J’ai commencé à écrire mon premier poème à 8 ans, sur le rôle de la mer(e) dans le monde. 24 ans plus tard, en plein confinement, et après une expérience de travail énergétique sur le transgénérationnel, j’écris mon premier recueil de poésie « Haut les Cœurs ! », sur l’amour et la dualité.
Aujourd’hui, j’essaye de voir la vie comme un immense terrain de jeu, à travers lequel expérimenter pour gagner toujours plus en liberté (valeur suprême et sacrée) et surtout, re apprendre à (s’) aimer et à rigoler, surtout !
2- Et votre vie professionnelle
En grandissant, j’ai souhaité faire du droit, attirée par le besoin de justice sociale, et plus particulièrement, par le droit international et le principe du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. Mon parcours m’a conduit à toucher à de nombreux domaines, choisissant intuitivement mes expériences professionnelles en fonction de mon évolution personnelle et spirituelle.
Après le droit, les arts graphiques, la presse écrite, la communication animale, l’audiovisuel et la radio, j’ai eu envie de me lancer dans la médiation. J’ai assumé ma passion pour la transmission à l’occasion de mes ateliers d’accompagnement dans le cadre de l’association la ZEP (Zone d’Expression Prioritaire). J’ai pu aussi assumer ma posture de « l’entre deux », à mi-chemin entre journaliste, thérapeute et professeure de français.
À 33 ans, j’ai décidé de passer le cap de l’entreprenariat. En 2022, j’ai ainsi créé mon association « Assaïs » qui propose des ateliers de médiation par le chant poétique aux enfants et adolescents. Ces ateliers s’inspirent d’une pratique ancestrale de poésie chantée, à la fois thérapeutique et politique.
3- Et pourquoi ce secteur d’activité
En me réconciliant avec mon père (et mes racines), j’ai découvert sa passion cachée pour cet art ancestral. J’ai réalisé que je le pratiquais de manière très inconsciente depuis toujours, dans des contextes où je sentais qu’il y en avait besoin (conflits, tensions, désaccords, besoin d’expression, recherche d’harmonie, situations d’emprise, de détresse humaine, etc.). J’ai pu ainsi mettre des mots sur les non-dits, et expérimenter la puissance du verbe, tout en étant dans le détachement, car finalement, rien n’a réellement d’importance.
J’aime l’idée de se raconter autour du feu, à la nuit tombée, et de conter ses états d’âme, avec bienveillance et ferveur ! J’ai pris conscience de l’urgence de transmettre aux plus jeunes le fait d’être à l’aise avec l’expression de sa vérité. J’ai donc souhaité les initier, de manière ludique et légère, tout en abordant des notions philosophiques et spirituelles. J’ai eu envie qu’ils expérimentent dans leur chair cette joie du partage. Chacun de nous a vécu des choses, expérimenté, ressenti.
Il n’y a pas de petite ou de grande histoire. Nous portons tous des siècles de conditionnement, et subissons les peurs projetées et intégrées dès l’enfance.
C’est le pouvoir du verbe qui permet de s’en libérer ! De renvoyer aux autres ses propres croyances, somme toutes légitimes, puis de se les reprendre pour les déconstruire avec patience et bienveillance.
Dès lors, il est possible de faire un pas de côté, et de vibrer son plein potentiel !
4– Quels sont vos projets à venir ?
Je projette de développer mon association avec de nouveaux partenariats pour l’année 2023, notamment avec des classes de cm2 et ainsi, faciliter le passage du cm2 à la 6ème, et répondre, en partie, aux problématiques de coéducation.
Je prévois des partenariats avec des maternités, afin de permettre aux parents de prendre conscience, dès la naissance de leur enfant, des projections inconscientes et limitantes. Je les accompagne notamment dans l’écriture de berceuses et comptines.
Enfin, j’entreprends la production d’un film documentaire que je porte depuis une dizaine d’années, sur le triptyque homme-animal-innovation.
5- Quels sont les moments ou événements qui ont changé votre vie
Après mon Master 2 de droit, et sur le point de passer le barreau, j’ai fait une grosse dépression. Je n’arrivais plus à m’alimenter et je suis restée alitée des mois. Cette dépression m’a permis de m’engager sur un chemin plus juste, davantage en accord avec mes aspirations profondes. La vie est faite de cycles. À ce moment-là, j’ai dû changer de peau de manière plutôt rude mais oh combien salvatrice !
De nombreuses rencontres (plus ou moins douloureuses) ont changé ma vie, et m’ont progressivement fait prendre conscience de ma valeur. J’ai souvent été testée sur la notion d’affirmation de mon individualité, et sur le fait de prendre sa place de manière concrète.
Je n’oublierai jamais le jour où j’ai été derrière le micro à l’occasion d’une émission de radio, ni celui de mon premier atelier de médiation avec un groupe de collégiens.
6– Quel est votre conseil pour les femmes qui veulent réussir ?
Je pense que la réussite en tant que femme dépend grandement de notre capacité à se réconcilier avec l’homme qui se cache en nous. Il n’y a pas de sexe dans l’expression de son potentiel. Simplement l’énergie vitale et le courage du cœur. Le courage de voir le pire comme le meilleur.
Alors réussir oui, mais par rapport à quoi ? À qui ? S’il s’agit de réussir pour la société, alors je pense qu’il faut accepter d’échouer. J’ai passé la moitié de ma vie à frôler les murs pour ne pas être vue, pour ne pas déranger. J’ai très vite ressenti la nécessité d’être un.e « fille/garçon manqué.e » pour survivre. J’ai souvent entendu les classiques du « tais-toi », « tu parles trop », « laisse la place aux hommes », « sois gentille », « fais pas ci, fais pas ça », etc.
De nombreuses femmes voient cette condition comme une malédiction. Et pourtant…Être une fille qui deviendra une femme libre et digne est le plus beau des challenges !
Nous sommes femmes, et de ce fait, nous portons le poids des générations passées, à savoir des milliers d’années de peur, de conditionnement, de patriarcat…Il y a des mémoires bien ancrées en chacune de nous : d’esclaves, de reines, de sage-femme, mais aussi de soldat, capitaine, inventeur, écrivain etc.
Souvenons-nous que nous ne sommes pas ces limitations, nous ne sommes pas ces mémoires. Souvenons-nous que nous sommes bien plus que la peur, bien plus que la jalousie, que la compétition, bien plus que la haine, que la colère, que la honte, que la soumission. Souvenons-nous pourquoi nous sommes ici.
Nous n’existons pas pour être lisses, muettes, soumises, apeurées, mais pour dépasser nos peurs. Et on ne les dépasse pas en les jugeant, mais en étant dans l’observation, dans l’acceptation et dans le détachement, d’abord envers soi-même (facile à dire !).
Pour moi, être une femme, c’est se sentir authentique et libre. C’est avoir la certitude de se sentir aimée et de pouvoir partager, sans se prendre au sérieux.
7- Votre avis sur la situation de la femme
Je trouve que la femme, que ce soit en France ou au Maroc, est encore bien muselée, coincée entre deux écueils : celui de répondre à l’image de la « femme-mère » et celui de répondre à ses désirs qui la font passer pour une hystérique, une folle, une sorcière, une pute…voir une féministe (OMG) !
Au Maroc, les femmes sont belles et libres mais de manière cachée. En société, elles sont l’inverse. En France, c’est le contraire…
D’où l’importance de ré éduquer nos enfants. Pour leur montrer qu’il existe une troisième voie : celle de la femme libre. Cette troisième voie ne répond à aucune loi universelle car elle est propre à chacun.e de nous, en puisant dans notre individualité, dans notre vérité qui elle, n’est soumise à aucune référence préétablie. Elle source de créativité infinie.
8– Votre avis sur le site ?
Je salue grandement votre activité ! Donner la parole à celles qui brillent en ayant su aller au-delà de leurs croyances personnelles est un grand pas. On entend beaucoup de choses négatives dans les médias aujourd’hui, ce qui entretient toujours plus de peur. Alors montrer qu’il y a aussi des choses qui vont, qui plus est, de la part de femmes inspirantes et créatives, c’est une victoire ! Merci.
9– Dernier mots :
N’ayez pas peur du regard des autres, car les apparences n’ont aucune importance. Ce qui nous différencie aujourd’hui est notre capacité à cacher nos zones d’ombre. La seule chose qui compte c’est la joie et l’énergie qui est présente en chacun.e de nous. Honorez votre individualité, car votre liberté d’être est la chose la plus sacrée sur cette terre.
Entretien réalisé par Aziz HARCHA
Décembre 2022
C’est beau, bien dit et tellement vrai !!!
Félicitations jeune fille… Vous avez quel âge ?!? Je vous avez une réflexion d’une vieille dame !!! C’est très beau à entendre, dans tous les cas…