Les femmes d'AfriqueInterviews

Céline Clémence Magnéché Ndé Sika

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1- Bonjour, avant tout, pouvez-vous vous présenter, nous raconter votre parcours et vos activités

Je suis Céline Clémence Magnéché Ndé Sika. Je suis camerounaise, mère de 2 grands enfants, épouse, éducatrice, défenseure de l’équité menstruelle, ingénieure sociale et écrivaine. Mon aventure dans le monde du développement commence en 1996 lorsqu’avec mon époux et un groupe de voisins, nous décidons de créer une coopérative d’épargne et de crédit pour faciliter l’accès des populations de notre commune au financement pour leur permette de créer ou développer des activités génératrices de revenus. Nous avions réalisé combien il était difficile d’obtenir un financement dans cette communauté de plus de 200.000 habitants où il n’existait pas de structures financières et où les usuriers régnaient en maître, ruinant des familles et des vies à cause de leurs pratiques peu orthodoxes. Quelques temps après l’ouverture de cette coopérative dont l’un des produits phares était l’octroi des micro-crédits aux femmes avec pour seule garantie leur appartenance à une association locale bien connue, de tous, j’ai dû créer l’Association pour le bien-être de la femme et des familles du milieu rural (AFFAMIR) pour accompagner les efforts de cette coopérative pour mieux aider les populations, notamment sous forme de services non financiers (formation en utilisation sans danger des engrais et pesticides, formation en gestion des associations, formation en techniques agricoles plus rentables et moins pénible, etc.). Depuis, AFFAMIR, sous mon leadership :

  • renforcé les capacités de milliers de femmes, créé deux écoles maternelles et primaires où chaque année entre 500 et 700 élèves reçoivent une éducation de qualité dans un cadre propre, moderne, sûr et encadrés par des enseignants qualifiés et hautement motivés,
  • facilité l’accès de plusieurs dizaines d’enfants provenant de familles à revenue très faible à une bourse scolaire holistique,
  • formé des dizaines de jeunes non-scolarisés aux métiers (menuiserie, couture, mécanique, restauration, coiffure, couture, etc.) et facilité leur entrée dans le monde du travail grâce à l’octroi des kits
  • sensibilisé des milliers d’élèves aux risques liés à une sexualité précoce et non maîtrisée
  • éduqué des centaines de jeunes à la santé et l’hygiène menstruelle et distribué des protections menstruelles aux filles adolescentes

    En Septembre 2021, nous avons lancé notre dernier projet qui consiste à produire des serviettes menstruelles lavables et réutilisables dans le cadre de notre lutte contre la précarité menstruelle qui affecte des millions de filles et de femmes au Cameroun.

2- Et votre vie professionnelle

J’ai toujours porté plusieurs chapeaux. Jusqu’en Juin 2022, j’étais enseignante de Français à International School of Kenya. Je gérais parallèlement notre association AFFAMIR tout en trouvant du temps pour écrire des livres. J’en ai écrit et publiés trois au jour d’aujourd’hui: deux romans et un recueil de contes africains qui sont, en réalité une partie de ma thèse de doctorat. Aujourd’hui, j’ai mis l’enseignement un peu entre parenthèse pour me consacrer entièrement à la gestion de mon association et de ses projets de développement.

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3- Et pourquoi ce secteur d’activité

Parce que en tant que femme, mère, épouse, citoyenne, fille, travailleuse et collègue, je me sens interpellée par toutes les injustices que vivent les hommes, les femmes et les enfants dans notre monde de tous les possibles, et refuse de toutes mes forces d’être spectatrice lorsque ma contribution, qui peut être ma voix ou mes écrits, par exemple, avec celle des autres passionnés du développement, peut contribuer de manière significative à mettre le sourire sur les lèvres de quelques personnes et leur redonner l’espoir de s’en sortir dans un monde injuste et inhumain. Martin Luther King Junior avait dit que notre vie commence à s’arrêter et à s’achever el jour où nous gardons le silence sur des choses qui importent.

4– Quels sont vos projets à venir ?

Faire décoller véritablement notre nouveau projet de production des serviettes menstruelles lavables et réutilisables afin de permettre à toutes les personnes réglées de les avoir pour mieux gérer leurs règles. Trouver des sponsors qui financent la production de ces serviettes ou qui nous donnent le matériel dont nous avons besoin pour les produire sera une de nos priorités. Nous souhaitons également poursuivre les séances de causerie éducative dans les établissements scolaires où nous continuerons à éduquer les jeunes à la santé et l’hygiène menstruelle et a une bien meilleure maîtrise et gestion de leur santé sexuelle et reproductive.
Trouver un financement pour donner un coup de neuf à nos deux écoles maternelles et primaires est également une de nos priorités car depuis leur construction en 2004 et 2006, elles n’ont jamais été restaurées. Acheter deux bus de transport scolaire: pour nos deux écoles: un pour remplacer celui, vieux que nous avons, qui tombe en panne tout le temps et peut definitivement rendre l’âme d’un moment à l’autre, ce qui serait tune catastrophe pour cette école qui ne pourrait plus aller chercher les enfants qui vivent loin de l’école et les ramener chez eux après les cours), et un autre bus de transport scolaire pour l’autre école qui n’a plus de bus depuis plusieurs anneés maintenant.

4- Quels sont les moments ou événements qui ont changé votre vie

Ma rencontre avec un des prétendants que mon oncle m’avait présenté, et qui m’a encouragée à poursuivre mes études et aller le plus loin possible parce que javais les moyens intelectuels de le faire. Il y a aussi ma rencontre avec mon mari qui m’a aidée à avoir confiance en moi, à croire en ma capacité à réaliser absolument tout ce dont j’avais envie, et qui a crée les conditions pour que ceci puisse se réaliser. L’obtention des bourses scolaires a aussi beaucoup contribué à changer ma vie. Sans ces bourses, je n’aurais pas pu réaliser toutes les études que j’ai réalisées. D’autres rencontres, parfois insiginifiantes à première vue, des lectures, des voyages ont également contribué de manière significative à créer la femme que je suis aujourd’hui.

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6– Quel est votre conseil pour les femmes qui veulent réussir ?

Croyez en vous et en votre capacité à réaliser vos rêves, et surtout rêvez, et rêvez grand. Toutes les belles réussites que nous connaissons aujourd’hui ont d’abord commencé par des rêves. Ensuite, les porteurs de ces projets-là ne se sont pas laissé dégonfler par quoi que ce soit ou qui que ce soit et ont cru dur comme fer en leurs projets, ont travaillé durement, bravé tous les obstacles qui se sont dressé sur leur chemin pour transformer leur rêve en réalité. Etre femme est compliqué dans un monde où le patriarcat ne fait pas du tout de cadeaux aux femmes et s’emploie à dresser sur leur chemin des obstacles aussi nombreux que difficiles à surmonter. Etre femme et vouloir devenir ce que l’on aime et veut devenir, et pas ce que la société attend de nous ou attend que nous soyons, est encore doublement difficile. La charge mentale, le plafond de verre, les discriminations salariales, les mariages forcés, la précarité menstruelle… tout cela et bien plus sont autant d’obstacles sur le chemin des femmes qui veulent réussir. Mais ce sont des obstacles surmontables, difficilement, certes, mais surmontables si on croit en soi, s’entoure des personnes qui veulent nous aider et nous aident véritablement, et si on refuse de laisser les autres délimiter notre horizon et décider de ce que nous voulons et pouvons être.

7- Votre avis sur la situation de la femme au Cameroun

La situation de la femme camerounaise s’est considérablement améliorée et nous ne pouvons que célébrer cela. En effet, les femmes vont à l’école, votent, font plusieurs des métiers jadis réservés aux hommes; peuvent ouvrir un compte bancaire et voyager hors de leur pays sans devoir obligatoirement obtenir la permission de leurs époux. Elles se font élire comme maires, députés, occupent des postes de préfets et sous-préfets (il y a même des départements chez moi où les trois premières autorités administratives sont des femmes: le préfet, le sous-préfet et le maire). Les femmes camerounaises occupent des portefeuilles ministériels, et pas seulement ceux de la condition féminine ou des affaires sociales. Elles sont présentes dans l’armée et pas seulement pour faire du café à leurs patrons. Elles conduisent des voitures et peuvent avoir des biens, siègent dans des conseils d’administration d’importantes sociétés, enseignent dans des universités, sont des diplomates. Mais ces avancées significatives ne doivent pas nous empêcher de constater que tout n’est pas toujours rose pour les femmes camerounaises qui doivent encore faire face à de très nombreuses injustices et discriminations à cause de leur genre. Il y a un mois je me suis vu refuser l’entrée dans un service administratif parce que je portais un pantalon. J’étais pourtant bien habillée. C’était la deuxième fois que cela m’arrivait. Les rites de veuvage sauvages perpétués par des traditions et autres coutumes barbares qui chosifient la femme; les mutilations génitales faites aux femmes et aux filles; les mariages forcés et précoces; les dégâts sérieux causés par la polygamie; la précarité menstruelle qui affecte des millions de femmes et de filles; la quasi impossibilité pour les femmes d’hériter des biens de leurs parents ou de succéder à leurs papas parce qu’elles sont du genre féminin; la violence domestique et son lot de complications -des femmes sont devenues mentalement instables à cause des bastonnades reçues de leurs époux ou partenaires- et de traumatisme aussi bien sur les femmes elles-mêmes que sur leurs enfants; les trop nombreuses responsabilités familiales qu’elles doivent assumer et très souvent sans aucune ressource; les difficultés à entrer en politique et à y faire carrière; le harcèlement sexuel que les femmes subissent partout (sur les routes, dans les établissements scolaires, dans les lieux de service, dans les équipes de sport, dans les marchés, dans les églises, etc.); le harcèlement des veuves par leurs belles-familles et le fait de les dépouiller des biens que ces dernières ont acquis avec leurs défunts époux; la diffiiculté à se procurer les protections menstruelles dont elles ont besoin pour gérer efficacement et avec sûreté leurs règles; la culture qui ne voit pas la femme autrement que comme mère et épouse au foyer et totalement soumise à son mari malgré le changement des rôles sociaux qui se sont opérés dans nos sociétés pendant ces dernières décenies; l’absence de politiques qui tiennent en compte les problèmes spécifiques des femmes et des filles et soutiennent leurs efforts de développement, tout cela et plus rendent la vie des femmes au Cameroun vraiment difficile et empêchent ces dernières d’être et de devenir. Mais le gouvernement et les organisations de développement et de la société civile font de leur mieux pour contribuer à changer les mentalités et les règles et permettre aux femmes et aux filles de vivre la vie qu’elles désirent et qu’elles méritent.

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8– Votre avis sur le site ?

J’aime beaucoup votre site qui est riche en informations et est assez complet pour connaître et comprendre les femmes, leurs peurs, leurs combats et leurs rêves, et voir leur cheminement et leur combat pour être et devenir. Un site avec des parcours uniques et impressionants qui inspirent et redonnent espoir.

9– Dernier mot ?

Je voudrais vous dire merci pour m’avoir donné la parole ainsi qu’à toutes les femmes qui sont passées avant moi pour nous faire entendre et entendre notre cause.

Entretien réalisé Par Aziz HARCHA
Mars 2023

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